New York Underground ? Vies et destins des intellectuels français exilés aux États-Unis après 1940
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Date
- / Cancelled / Sold out
Localisation
Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Salle du Forum, 1er étage de la FMSH |
54, Bd Raspail, 75006 Paris |
Le cycle de conférences Parcours d’intellectuels en exil : un humanisme sans frontières, en est maintenant à sa deuxième saison. Porté par Álvaro Vasconcelos, il a été organisé par la Fondation Calouste Gulbenkian – Délégation en France en partenariat avec la Fondation Maison des Sciences de l’Homme (FMSH).
Álvaro de Vasconcelos a inauguré la deuxième session intitulée : New York Underground ? Vies et destins des intellectuels français exilés aux États-Unis après 1940 en rappelant que si l’on pense souvent que les exilés sont les autres, la nécessité de fuir son propre pays peut aussi nous affecter. En plus de son propre parcours d’exilé en Belgique et en France, il a évoqué le souvenir de personnalités rencontrées et qui avaient aussi dû fuir la France tel Raymond Aron, permettant au conférencier d’amorcer son propos.
Laurent Jeanpierre, professeur des universités en sciences politiques à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne est l’auteur de plusieurs ouvrages dont les récents La perspective du possible. Comment penser ce qui peut nous arriver et ce que nous pouvons faire (Paris : La Découverte, 2022) et In Girum. Les leçons politiques des ronds-points (Paris : La Découverte, 2019). Il a aussi travaillé dans le cadre d’une recherche doctorale sur les intellectuels français exilés aux États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale. La brillante conférence qu’il a donnée était en conséquence en lien direct avec ses travaux.
Il rappelle d’emblée les échos de la thématique de sa conférence avec la situation contemporaine et la multiplication des exils. Pour la période étudiée, il a souligné la diversité des profils, allant des juifs aux gouvernements en exil tout en rappelant que les Françaises et Français sont surtout partis à Londres, à Alger et à New York. Plus généralement, cet exil intervient au moment d’un basculement car Paris est en train de perdre sa place de capitale culturelle et New York de la remplacer. Toutes les personnes qui sont parties n’étaient pas des résistantes. Elles fuyaient surtout sous la contrainte d’une menace de mort mais elles n’ont pas forcément joué de rôle actif dans la Résistance. Tout en pointant les limites des données de l’époque, Laurent Jeanpierre a précisé que parmi les 440 000 à 620 000 Européennes et Européens arrivés aux États-Unis entre 1933 et 1945 (dont plusieurs ont pu fuir dans deux voire trois pays déjà), seuls 3 à 4000 personnes étaient françaises. C’est quatre fois moins que les Françaises et Français à Londres durant la Seconde Guerre mondiale.
Les personnes qui sont parties étaient souvent riches voire très riches et Laurent Jeanpierre a insisté sur la nécessité d’avoir d’importants revenus pour migrer mais aussi de disposer de nombreux capitaux sociaux pour faciliter les démarches et de contacts sur place. Le conférencier a ensuite rappelé l’importante contribution de la Fondation Rockfeller dans l’accueil des scientifiques tout en insistant sur le déclassement professionnel que beaucoup de personnes ont pu vivre quand elles n’ont pas pu avoir de soutien financier. Pour autant, ce déclassement a engendré une forme de marginalité qui a aussi pu être créative. Les exils pouvaient être heureux et malheureux et l’effet de génération est clair : les personnes plus jeunes ont été souvent plus heureuses alors que l’épreuve a été plus rude pour les plus âgées. Laurent Jeanpierre a aussi souligné que cet exil a pu être profitable dans l’après conflit et par ailleurs, l’appui de la Fondation Rockfeller a été déterminant dans la fondation de ce qui devient l’EHESS dans l’après-guerre. Il rappelle enfin en conclusion de son propos que beaucoup des personnes sont rentrées après la fin du conflit, sauf quelques exceptions comme Saint-John Perse.
Elisa Klüger a ensuite pris la parole pour discuter quelques points de la conférence. Elle a rappelé que ses travaux sur les exilés brésiliens au Chili lui fournissaient des points de comparaison et a posé une série de questions à Laurent Jeanpierre. Alors que les Brésiliennes et Brésiliens qui ont fui la dictature appartenaient surtout à la gauche politique, elle interroge la possibilité de catégoriser politiquement les exilés sans possibilité de faire émerger une appartenance politique claire dans le cas français. Elle a aussi mis en évidence les limites à la mobilisation de certaines sources comme les demandes de visas qui ne sont pas forcément le signe d’un exil tout comme les biais qui se produisent lorsque l’on se focalise sur les grands noms. Elle a enfin relevé l’importance de mettre en évidence les temporalités de l’exil car les premiers qui partent ont souvent plus de ressources que les vagues suivantes d’exilés. Enfin, elle a souligné l’importance du retour et comment cette expérience de l’exil peut être mobilisée favorablement lors de la réintégration dans le pays d’origine. Partant, elle s’est interrogée sur la possibilité de parler d’un déclassement ou d’un déplacement pour les catégories les plus favorisées qui ont continué leur activité professionnelle.
Dans la foulée de ces questionnements, Álvaro de Vasconcelos s’est demandé si dans le cas d’un exil politique, le fait de vivre en liberté faisait que l’on tolérait mieux le déclassement. Laurent Jeanpierre a repris la parole pour répondre aux différentes questions posées insistant sur l’importance de l’âge lors du départ comme un marqueur générationnel fort dans le ressenti de l’exil. Pour lui, la production des écrits par les exilés eux-mêmes ou bien la consultation des éléments réunis par ce qui devient rapidement la CIA permet de rendre compte du positionnement politique des exilés. Elisa Klüger a ensuite relevé l’importance de situer géographiquement les exils qui sont très différents en fonction de flux Sud-Sud, Nord-Nord ou bien Sud-Nord/Nord-Sud. En réponse à une question d’Álvaro de Vasconcelos sur l’identité des personnes en exil à l’image de Saint-John Perse qui affirmait : « j’habite mon nom », Elisa Klüger a pointé la multiplicité des identités des exilés et les effets d’une pensée globale latino-américaine où la question nationale est dépassée mais aussi l’importance des lieux d’arrivée, en fonction de la difficulté ou non de la langue. Laurent Jeanpierre lui privilégie plutôt le terme d’identification que l’on peut percevoir dans les écrits intimes.
Rapport de Christophe Araújo
Vue de la conférence New York Underground ? Vies et destins des intellectuels français exilés aux États-Unis après 1940 © Isabel de Barros
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