Hannah Arendt une intellectuelle exilée en desexil au 20e siècle

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Le cycle de conférences Parcours d’intellectuels en exil : un humanisme sans frontières, en est maintenant à sa deuxième saison. Porté par Álvaro Vasconcelos, il a été organisé par la Fondation Calouste Gulbenkian – Délégation en France en partenariat avec la Fondation Maison des Sciences de l’Homme (FMSH).

Álvaro de Vasconcelos a inauguré la cinquième session intitulée : « Hannah Arendt une intellectuelle exilée en desexil au XXe siècle » en narrant l’historique du cycle de la première puis de la seconde saison. Alors que l’image de la France terre d’asile était très érodée au début 2023, lors des premiers pas du séminaire, remettre sur le devant de la scène l’humanisme sans frontière apparaissait déjà comme une nécessité. Álvaro de Vasconcelos mentionne la situation actuelle que l’on n’attendait pas avec la dissolution de l’Assemblée nationale et où l’hospitalité et le vivre ensemble notamment sont particulièrement interrogés. Il rappelle que la figure d’Hannah Arendt est symptomatique par son parcours : elle est venue alors que la France était la terre d’accueil dans les années 1920 et 1930 et, passées quelques années, elle ne l’était plus avec la collaboration de l’État français. Cela fait écho avec notre actualité et à l’essor de l’extrême-droite.

Marie-Claire Caloz-Tschopp, philosophe politique, prend la parole. Elle retrace brièvement son parcours. Elle a enseigné à Genève et à Lausanne, a vécu dans plusieurs pays dans le cadre de ses recherches et notamment en Amérique latine. Elle est spécialiste des politiques migratoires. Parmi ses publications, on peut distinguer Hannah Arendt, les sans-État et le « droit d’avoir des droits » (1998) mais aussi plus récemment Frontex, le spectre des disparu.e.s, Nihilisme politique aux frontières (2023). Elle précise que la préparation de la présentation l’a fait relire l’œuvre d’Hannah Arendt qu’elle avait lue en 1995, dans le cadre de sa recherche doctorale. La distance avec sa première lecture lui a permis de revenir sur certaines notions centrales dans l’œuvre d’Hannah Arendt, comme la notion d’humanité superflue. En effet, elle rappelle qu’Hannah Arendt était profondément anti-nihiliste et refusait toute forme de domination totale. Le regard de la philosophe est façonné par ce qu’appelle Enzo Traverso « le privilège de l’exil » qui lui permet d’une certaine façon et malgré la contrainte du départ forcé de regarder différemment. Pour Marie-Claire Caloz-Tschopp, face à la nature du danger, où que l’on soit, on est tous en puissance des exilés sur la planète. Elle affirme que notre place ne nous est pas garantie sur cette terre.

Elle énumère les trois points qui vont guider sa présentation. Le premier est celui de relire Hannah Arendt hier et aujourd’hui. En effet, ses relectures sont situées, et la philosophe s’interroge sur la possibilité de raconter l’histoire d’une exilée sans la trahir, elle qui a écrit en plusieurs langues. Elle atteste qu’il faut lire autrement Hannah Arendt aujourd’hui, en se libérant des carcans académiques. Quand elle l’a lue pour la première fois, dans les décennies 1980-1990, elle a été profondément marquée par le tournant de la mise en place de Schengen qui est paradoxal. En effet, l’espace Schengen est ambigu : alors que la liberté de circulation s’est mise en place à l’intérieur de l’Union européenne, elle a provoqué une violence très forte aux frontières de l’espace, à l’égard des immigrés. En lisant Hannah Arendt, elle souligne à quel point elle est une intellectuelle de rupture, elle qui a soutenu sa thèse à 22 ans, quitté l’Europe à 32 ans. Elle n’était pas juive pratiquante mais a vite revendiqué sa judéité avec le nazisme et s’est engagée. Le besoin de compréhension est au fondement de sa pensée : elle veut comprendre le réel de l’anéantissement, le néant. Maintenant, comment la relire aujourd’hui ? Il faut percevoir Hannah Arendt comme une exilée et elle regarde depuis l’exil la violence extrême du XXe siècle. L’exil fait partie de la décivilisation. Elle a une vue aiguisée de l’anéantissement. Elle affirme dans ces temps difficiles le droit d’avoir des droits. Ainsi, il lui semble fondamental de vivre dans une structure ou l’on est jugé selon ses droits et ses opinions, alors que des personnes ont perdu des droits en raison d’une situation politique globale.

Le deuxième point de la présentation interroge ce que l’on peut apprendre sur le système totalitaire et notamment la notion de superfluité/humanité superflue qui apparait dans le chapitre sur les camps dans Les origines du totalitarisme. Résultat d’une privation totale du corps humain entrainant l’extermination et la disparition, ce qui la choque le plus est l’atteinte fondamentale à la liberté humaine. Elle crée une philosophie politique en renversant la superfluité. C’est le noyau de son œuvre. Les droits accompagnent la vie politique et pas l’inverse.

Le temps pressant, elle passe au troisième point et aborde l’idée de desexil de l’exil et la question du vertige démocratique. Il faut regarder la démocratie au regard du droit d’avoir des droits. Pour Hannah Arendt, agir, c’est commencer quelque chose de neuf. Le trouble est que la barbarie a été créée par une société civilisée (soit l’Allemagne). Marie-Claire Caloz-Tschopp insiste alors sur la liberté de mouvement. Un juriste d’Amnesty International a insisté sur « le principe de non-refoulement » systématique et l’intervenante est donc favorable à ce que l’hospitalité politique soit constituante du droit d’avoir des droits. Si l’humanité ne lutte pas pour ouvrir la planète, cela peut se perdre. Elle affirme que l’envers de l’hospitalité est la guerre. Elle rappelle en illustration que les droits de la charte de l’ONU sont des droits individuels et elle se demande où sont les droits des peuples ? Enfin, Marie-Claire Caloz-Tschopp s’interroge sur la philosophie de la liberté à l’heure où les limites de la planète et la menace de la guerre, questionne sur ce que l’on peut faire.

Sara Guindani fait un commentaire. Elle aimerait revenir sur la notion que nous sommes tous des exilés et souhaite des précisions. Ensuite, elle se demande pourquoi Hannah Arendt n’a pas perdu la raison au regard de la guerre et face à l’épuisement du langage dans la mesure où les mots n’ont plus de sens dans la machine totalitaire. Elle questionne la possibilité de se saisir de la loi. Enfin, elle pose la question de la langue et l’affirmation d’Hannah Arendt que « seule demeure la langue maternelle » qui est la langue du jeu et de la capacité créative.

Álvaro de Vasconcelos abonde en posant la question de la langue. Hannah Arendt parle des Allemands qui veulent tout faire pour parler français le mieux possible. Est-ce que de nos jours c’est une question pertinente et peut-être déjà à l’époque, cette question se posait. Autre question : est-il possible d’être anti-nihiliste aujourd’hui alors que le nihilisme est devenu universel ?

Marie-Claire Caloz-Tschopp répond qu’Hannah Arendt avait un très fort accent allemand et qu’elle essayait de travailler dessus. La liberté est le principal enjeu mais la liberté est ambiguë. Le langage s’est complexifié avec l’IA mais l’ambiguïté est constitutive de la liberté.e La première réaction face à la violence est qu’au début, on n’y croit pas, on n’arrive pas à réaliser. La liberté n’est pas évidente, elle est ambiguë mais elle est existentielle. Ce que l’on apprend avec Hannah Arendt c’est que l’ambiguïté est toujours sur la table.

Marie Claire Caloz-Tschopp réaffirme l’idée que nous sommes tous des exilés en affirmant bien qu’il s’agit d’une hypothèse dans la mesure où elle ne se sent pas bien ce monde. Le débat avec le reste de l’audience porte surtout sur la question des exilés et de Schengen. Pour elle, on ne peut pas fermer les frontières car la liberté de mouvement est existentielle. Avec la mise en place de Schengen il y a certes une liberté plus grande à l’intérieur des frontières mais dans le même temps le pacte migratoire et la violence policière aux frontières montrent l’ambiguïté de cette politique à l’échelle de l’Union européenne. En effet la politique du tri à des conséquences désastreuses. Un exemple de cela aussi est que le droit international permet aux personnes de quitter son pays sans pour autant qu’un pays d’accueil ne lui soit proposé. Álvaro de Vasconcelos clôt le débat et lance les invitations pour la prochaine séance qui aura lieu en septembre.

Rapport rédigé par Christophe Araújo

Vues de la conférence Hannah Arendt une intellectuelle exilée en desexil au 20e siècle © Ophélie Julien-Laferrière

Cycle de conférences “Parcours d’intellectuels en exil : un humanisme sans frontières” à l’initiative d’Álvaro Vasconcelos est organisé par la Fondation Calouste Gulbenkian – Délégation en France et la Fondation Maison des sciences de l’homme (FMSH).

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